Petite terre
Petite terre. Quelques heures suffisent pour la sillonner, pour toucher ses frontières, les mots pour la décrire devraient tenir dans une coupe. Mais la phrase qui allait naître, s'inscrit dans le vent, balayée, gommée aussitôt. Ou bien d'autres s'empilent, l'enfouissent, sous une pluie de contradictions.
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Peu à peu, l'obstacle aiguise l'appétit. L'insaisissable n'a aucune raison de décourager, il tient de la vie même. Abordons ce pays sans écarter la fascinante déraison, ni l'entendement du cœur ; sans fermer "l'œil passionné" fait pour ces terres instinctives et chaudes.
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Devenez une immense oreille, penchez-vous aux feneêtres du coeur. Le Liban est un de ces lieux privilégiés qui ne vous laissent pas "à sec". "Imagination morte, imaginez", ordonne Beckett. Tout ici accule à l'invention, fait appel à nos mondes enfouis, à nos soifs "d'ailleurs". Tous nos passés s'y frayent un chemin, tous nos lendemains s'y cherchent. On pressent l'Asie, on reconnait l'Europe, on écoute la pulsation de l'Afrique, on s'émeut des mains ouvertes de l'Orient.
(Andrée Chedid, "Liban", 1969)