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21 avril 2012

Berlin sous la Baltique

(...)

Berlin, c'est grand. Il n'est pas trop tard. On peut encore tout arrêter et repartir à zéro.

(...)

Berlin a été construite sur le sable. Au sens biblique, on aurait pu mieux choisir. Il fut un temps où Berlin était entièrement recouverte par la mer. L'Atlantide à l'envers, si on veut. C'est la première chose qu'on vous raconte à l'arrivée. On vous dit ça comme si les eaux venaient tout juste de se retirer, alors qu'en fait ça remonte à des millions d'années. Et pourtant, chaque fois qu'on rencontre un chantier, on se croirait au bord de la mer, car partout on tombe sur du sable.

(...)

Peut être qu'à Berlin, les gens entretiennent dans leur subconscient l'idée que la ville a un bail avec la mer. Qu'un jour un raz de marée viendra reprendre possession des fonds marins et que les Berlinois se retrouveront à nouveau sous la Baltique.

(...)

Les gens se déclarent affamés. Fatigués. Esseulés. Incompris. Amoureux. Désirables. Vieux. Nouveaux venus. Propres. Les hommes sont déclarés amants, amis, maris ou pères. Personne n'échappe à la nomenclature ; tout doit avoir un titre. Parce que la nomenclature réduit les risques de méprise. Parce que ici, dire clairement ce qu'on veut et ce qu'on est est un mode de vie.

(...)

On ne peut plus dire de Berlin qu'elle est la capitale de l'Allemagne. Même si certains tiennent encore à l'appeler ainsi. Berlin est une ville en Allemagne de l'Est. La partie dont on parle toujours s'appelle Berlin-Ouest. Berlin-Ouest est une île. Ce qui tend à montrer combien les choses dégénèrent ; combien un titre est provisoire.
On pourrait dire de la réunification de l'Allemagne que c'est une vieille rengaine.

(...)

Qu'est ce qui vous a amenée à Berlin ? lu iais-je demandé brusquement. Voilà Helen forcée à faire une déclaration d'intention.
C'est une longue histoire, a t-elle dit.
Eh bien, on n'est pas pressé, ai-je répondu avec un sourire en baissant les yeux.

(...)

J'ai brisé un des petits pains blancs comme si je m'appliquais à rompre l'échine d'un petit animal. Helen attendait que je commence, et après elle faisait comme moi. Je mange sans bien mâcher. On pourrait me traiter de vorace. Helen, elle, mâchait d'un air pensif, comme si ça l'aidait à se souvenir. Ele mange lentement. On peut déclarer le petit déjeuner chose intime. Et quand on mange ensemble le matin on a l'air d'avoir dormi ensemble.

(...)

On n'arrange pas forcément les choses en les éclairant, il y a lumière et lumière. Si on braquait une torche électrique sur le mur de Berlin sous les feux des projecteurs, est ce qu'il en serait mieux éclairé - est ce qu'un verre d'eau augmenterait le volume des mers ? Ou bien la lumière donne t-elle un double des choses ?

(...)

L'éclairage, par ailleurs, est très discret. Car souvent les choses périssent à la lumière. La lumière fait périr l'imagination. Le jour est meurtrier.

(...)

Elle a pris une douche et elle est retournée se coucher. Je lui ai apporté du thé. Elle ne supportait pas la vue de la nourriture. Tout ce qu'elle voulait, c'était revivre le passé. Elle m'a attiré près d'elle. Quand on refait une chose, c'est pour croire à ce qu'on voit.

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Pour la première fois, j'avais besoin de savoir pourquoi elle pleurait. Pourquoi elle était inquiète. Pourquoi elle se sentait seule. (...) Pour la première fois, j'avais besoin de savoir ce qui se passait dans sa tête d'un instant à l'autre. Pour la première fois, j'avais besoin de la voir sourire.

(...)

Le trajet entre la station de Neuköln et l'appartement de Sonnenallee paraît interminable. J'ai l'impression d'avancer à pas de tortue à côté d'Helen. A marcher si lentement, nous avons l'air d'un couple de vieux qui s'en reviennent d'écouter la fanfare au jardin public. C'est une allure exaspérante. Je pourrais faire au moins vingt fois l'aller-retour de la station à l'appartement pendant le temps que nous mettons pour rentrer. Helen est fatiguée après cette journée à la chaleur. Elle a ralenti le pas et marche à une allure nonchalente avec mon bras pour soutien. Elle a un coup de soleil sur le nez. Elle me donne envie de courir. De danser autour d'elle dans la rue de toute mon énergie. Elle s'agrippe à mon bras et elle lève les yeux vers moi.

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Une fois tous les deux mois, la ville de Berlin retourne ses poches. (...) Des objets dont l'attrait et la commodité n'ont pas résisté aux forces du changement ni à celles d'un bien-être toujours accru. Des objets qui ne cessent de se dévaloriser, abîmés par trop de familiarité, dépassés par la mode. Tout cela est lié au désir, à la loi selon laquelle un désir en chasse un autre. Au renouvellement constant du cadre de vie personnel.

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On aurait pu tenir des propos sur les nappes blanches. Sur la transparence du verre. On aurait pu faire des discours sur la victoire. La Wurst. L'agilité. La natalité en Allemagne. On aurait dû parler de la chronologie de la chance.

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L'objet qui est censé graver pour la postérité, qui est censé fixer le présent, a, en réalité, l'effet inverse. La photo tue. Le procédé qui est censé éterniser une chose sur papier n'est en réalité qu'une façon de dire au revoir. Les photos démantèlent la réalité. La photo est un adieu.

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En Allemagne, tant qu'on ne parle de rien, on ne veut pas voir. Quinconque ne figure pas sur les registres existe à peine. Quinconque est dépourvu de sentiments n'est pas vivant. C'est comme les opinions non exprimées. Les cartes postales non expédiées.

(...)

En ce premier instant qui fait suite à une si longue absence, tout est possible. Les choses auraient aussi bien pu aller dans un sens que dans l'autre. Ils auraient pu se regarder et décider de s'en tenir au souvenir plutôt que de renouer le fil du discours en pleine rue. Après une semblable absence, il faut tout réévaluer sur-le-champ.

(...)

Il ne lui restait plus qu'à aller faire une visite à sa propre mère. L'après-midi où il est allé la voir, c'est à peine si elle l'a reconnu. Les chiens aussi. Ils ont aboyé comme des fous. Il lui a dit qu'il repartait vivre à Dublin. Tout cela ne signifiait pas grand-chose pour une vieille dame comme elle. Elle était contente d'avoir son fils près d'elle un petit moment. Dieter était impatient et mal à l'aise. Maintenant qu'il avait fait l'effort de venir, il avait du mal à s'en aller. La voir lui faisait peur. Et quand il l'a quittée au bout d'une heure, elle n'a presque rien dit. Elle ne l'a pas supplié de revenir, comme il s'y attendait. Elle ne lui a pas demandé de rester. Les chiens se sont remis à aboyer.

(...)

("Berlin sous la Baltique", Hugo Hamilton)

(merci X)

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