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10 septembre 2011

Loving Frank

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28 octobre 1910

Ellen parle de mener une "existnce terriblement raisonnable". Elle dit que la loi morale n'est pas gravée dans la pierre mais dans la chair et dans le sang. En l'espace d'une année, j'ai quitté Oak Park pour Boulder, New York, Berlin, Paris, Leipzig, Florence, et me voici de retour à Berlin. Je suis fatiguée. Je n'ai pas envie de m'ériger en modèle de vérité.

Mamah mit son journal intime de côté et s'apprêta à sortir.

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-Frank.

Elle hésita.

...Quelle est ton année de naissance ?

-Ah, Mamah !

Frank se laissa aller contre le dossier de sa chaise et leva les mains comme pour se rendre.

...1867.

-Tu m'avais dit que tu étais né la même année que moi, en 1869.

-Et voilà, fit-il.

-Comment cela, "et voilà" ?

-J'étais amoureux. Que veux tu que je te dise ? Cela venait du coeur. Notre rencontre relevait un peu du miracle pour moi. Je le pense toujours. Cela ne m'a pas semblé être si gros...

-Mensonge ?

-Cela m'est venu tout naturellement. Je ne l'avais pas prémédité et tu semblais si heureuse. Je me suis dit que, même si ce n'était pas vrai, ça aurait dû l'être.

Drôle de mystification ! songea Mamah quand elle se retrouva seule. Tricher sur un détail aussi insignifiant. Ce n'était pourtant pas la première fois qu'elle le surprenait à mentir ou à déformer la vérité. Il romançait la réalité. Il ne savait pas résister au plaisir de camper ses clients en preux chevaliers et nobles héroïnes de ses légendes arthuriennes. Aujourd'hui, dans la cour, il était Merlin l'Enchanteur dont la magie éblouissait ses ouvriers. Il adorait présenter les choses sous un aspect dramatique. Cela rendait la vie tellement plus intéressante !

Il n'était pas facile d'en vouloir à Frank Wright. Mamah devrait trouver un moyen de lui faire comprendre qu'il n'avait pas besoin de tout exagérer. Il était déjà bien assez extraordinaire.

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-Tu veux bien me parler ?

Frank était debout près du fauteuil où elle s'était assoupie.

(...)

-Depuis quand es tu ici ?

-Je viens d'entrer.

D'un regard, elle lui indiqua une chaise qu'il approcha pour s'asseoir en face d'elle.

-Je n'en ai pas pour longtemps ; je sais que tu es venue ici pour être seule. J'avais juste une chose à te dire.

Sous ses paupières tombantes, les yeux de Frank étaient plein de larmes. Elle hocha la tête.

-Je n'ai jamais été un ami fiable, pour personne. Je ne sais pas comment on fait. J'ai une déficience dans ce domaine. J'ai toujours cru pouvoir prendre ce que je voulais parce que je le méritais. Je considérais cela comme ma récompense.

Il baissa la tête et, pendant quelques instants, il appuya son pouce et son index que ses paupières closes.

...Pour tout le travail que j'avais fourni, pour ce que j'avais donné au monde. Et la vie a mis des personnes bonnes et indulgentes sur ma route, des gens qui m'ont pardonné mes erreurs et m'ont soutenu au lieu de me laisser faire la culbute quand il le fallait. C'est mon talent, vois-tu, qui pousse les gens à se montrer compréhensifs.

Il souris tristement.

...Je le sais bien. Contrairement à ce que tu penses, ma conscience me hante. Certaines nuits, en pensant à tout le mal que j'ai fait, je n'arrive pas à dormir.

Il secoua la tête.

...Je regrette tout cela. Je suis désolé d'avoir trahi ton amitié. Surtout la tienne.

Mamah le regarda, impassible. Comme elle ne réagissait pas, il se leva.

-Je vais essayer de mettre un peu d'ordre dans cette pagaille qui me tient lieu d'âme. Je comprendrais que tu ne veuilles plus jamais me revoir. Je ne peux pas te dire à quel point je regrette de t'avoir poussée à cette extrémité.

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(Nancy Horan, "Loving Frank")

(merci Prune B.)

 

 

 

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